Approvisionnement en matières premières dans le Paléolithique supérieur d’Europe occidentale

François Djindjian

Université de Paris 1-Panthéon-Sorbonne & CNRS UMR7041

Résumé

Au Paléolithique moyen, le rayon d’approvisionnement en matières premières est de l’ordre de10 à 20 kilomètres autour de l’habitat. Le chasseur moustérien exploite continûment un territoire d’approvisionnement (alimentaire et matières premières) restreint (qq 100 km2 de superficie) et change d’espace et d’habitat quand les ressources alimentaires de ce territoire, généralement composées d’herbivores grégaires (aurochs, cerf, daim, cheval, bouquetin), sont épuisées.

Au Paléolithique supérieur, l’approvisionnement en matières premières s’effectue dans le cadre d’une mobilité à l’intérieur d’un territoire dont les dimensions peuvent dépasser les deux cent kilomètres (qq 1000 km2 de superficie). Le chasseur du paléolithique supérieur exploite un territoire vaste et circonscrit par des stratégies opportunistes et/ou planifiées, suivant la nature des ressources alimentaires, constituées d’herbivores grégaires et d’herbivores migrateurs (rennes, bisons, mammouths) qui l’oblige à fréquenter des habitats saisonniers de durée d’occupation variable.

Cette circulation oblige le chasseur du Paléolithique supérieur à constituer des stocks de matière première préparée, possédant une plus forte capacité de production de supports, ce qui l’a amené à développer les techniques volumiques de débitage basé sur l’innovation de la lame à crête (nucléus prismatiques à lames et lamelles) au détriment des techniques Levallois, discoïdes et Quina du Paléolithique moyen.

En France, les travaux effectués sur l’origine des matières premières (silex, coquillage) permettent de mettre en évidence des territoires de peuplement à différentes périodes (cultures) du Paléolithique supérieur. La facile disponibilité en France d’affleurements de couches à silex explique que les distances d’approvisionnement sont, sauf exception, beaucoup plus courtes qu’en Europe centrale.

L’exception la plus spectaculaire est l’origine des matières premières en silex des sites d’Auvergne, qui met en évidence une origine dans le bassin du Cher (A. Masson), quelques deux à trois cent kilomètres au nord de l’implantation des sites dans les hautes vallées de la Loire et de l’Allier. Cette origine détermine un territoire enclavé un cercle de montagne infranchissables au Würm récent, seulement ouvert au nord par les vallées de la Loire et de l’Allier, très vraisemblablement occupé de façon saisonnière (l’été) par des chasseurs venus du bassin moyen de la Loire (Gravettien, Badegoulien, Magdalénien moyen et supérieur).

Mais la situation la plus fréquente est la richesse en silex de toutes origines des régions françaises. Dans le bassin Aquitain, la grande profusion de silex des différents étages géologiques (souvent de qualité très recherchée comme le silex du Bergeracois ou le jaspe de Fontmaure) met en évidence des distances d’approvisionnements courtes (moins de cent kilomètres) qui mettent néanmoins en évidence une territoire couvrant l’ensemble du bassin Aquitaine (du Périgord au Quercy aux Pyrénées au Pays Basque jusqu’en Gironde), pouvant même inclure la côte cantabrique (R. Seronie-Vivien, A. Morala, M. Simonnet, P.Y. Demars). Dans le bassin parisien, l’étude des approvisionnements en matière première de silex dans le Magdalénien supérieur (M. Mauger) a permis de conclure à l’existence d’un territoire autonome. Il reste néanmoins à confirmer ces conclusions par les études archéozoologiques de saisonnalité des sites magdaléniens pour vérifier leur présence dans le bassin Parisien sur l’ensemble du cycle annuel.

Un cas particulier particulièrement révélateur est celui du Solutréen ancien ou du Badegoulien au maximum glaciaire qui met en évidence le retour à des séquences de débitage sur éclat et à l’approvisionnement en matière première de mauvaise qualité (quartzite, silex tertiaire), revenant ainsi à un contexte d’approvisionnement qui rappelle le Moustérien, et pourrait traduire de stratégies de ressources alimentaires locales totalement différentes de celles du Gravettien et du Magdalénien.

Les origines des coquillages, utilisés comme éléments de parure, sont également très structurants puisqu’ils mettent en évidence des distances jusqu’à 500 kilomètres pour l’approvisionnement des coquillages d’origine atlantique, méditerranéenne ou fossiles. Cependant il n’est pas possible de trancher entre deux hypothèses, celle de lapprovisionnement direct ou celle des échanges de proche en proche entre populations. Il est pourtant possible, à partir des travaux de Y. Taborin, de mettre en évidence que les distances les plus longues surviennent à des moments d’amélioration climatique (Origines méditerranéennes dans l’Aurignacien évolué pendant l’épisode d’Arcy, dans le Gravettien à burins de Noailles pendant l’épisode de Tursac ou dans le Magdalénien moyen et supérieur).